Les Taylor, médecins de père en fils. Bon nombre d’habitants ont connu un Taylor, blouse blanche et lunettes sur le nez, écriture aux airs de hiéroglyphes. Famille aux airs de photocopies, tradition qui prête à sourire. Papa déroge pas à la règle, chirurgien apprécié de l’hôpital, traumatologue qui a vu plus d’un habitant sur sa table d’opérations. Repas colorés, trop, où compétition d’anecdotes entre les uns et les autres finissent par enlever l’appétit.

Couple d’éternels ados, mariage solide où les parents se regardent amoureusement sous le regard écœuré du plus grand et les gloussements de la petite. Family of four, white picked fence. Cliché banal de la famille sans reproche, presque trop lisse, horizon sans nuage. Rien ne manque, quotidien confortable avec barbecues les dimanches. But not really. L’aîné est rebelle. La petite dans les nuages. Il y a la grand-mère un peu ailleurs aussi, plus tout à fait là depuis la perte de grand-père. La tante fantasque, un peu libre (un peu trop). La pression de suivre la tradition, pour tout, sur tout.

Tante idolâtrée, figure de ce qu’elle voudrait être. Plus libre, plus affirmée, héroïne digne de ses romans. Trop petite pour comprendre les chuchotements sur elle, la désapprobation de beaucoup, ses propres zones d’ombre. Car elle brille assez pour que la gamine se fasse éblouir, assez pour ne pas voir les bouteilles qui traînent chez elle, la maison qui se lézarde toujours un peu plus. Faith, trust and pixie dust. Gamine paumée qui joue les fées pour les yeux de sa nièce, qui la guide dans mille et un jeux pour ne pas penser à la réalité. Disputes entre sœurs, beaucoup, mère inquiète pour sa fille mais qui n’a pas le cœur de lui priver de sa fée. Et à la fée sa seule étoile.

Gentille fille, elle n’est pas vraiment connue pour ses frasques. Bien au contraire. Little miss goody-two-shoes, poster child. Typique première de la classe qui plaît pas, pas vraiment. Étiquette collée au front alors qu’elle n’a rien demandée. Elle fait la grimace, elle regarde avec envie les autres, ceux qui ont des amis et non des idiots aux rires mesquins...spectatrice poussée dans un coin, elle sait pas trop quoi faire. Résignation sur sa position dans la pyramide, espoir qu’un jour l’orage passe et elle trouve une place. La sienne.

Soirée comme tant d’autres, elle n’aurait jamais pu prévoir...ça. La fumée, le tas de ferraille en guise de capot, le rouge sur la peau. Sa tante, immobile. Elle essaie de la sortir, elle se débat avec la ceinture, avec la portière, avec tout. Don’t look, don’t look, don’t look. Mains tremblantes, mains qui font pâlir sa tignasse de feu. Elle n’y arrive pas. Hurlements dans cette route un peu isolée, cordes vocales en feu, voix déchirée qui finit par attirer l’attention. Mais trop tard. And it’s your fault.

Voix envolée avec la défunte. Pendant un temps du moins, besoin d’aide pour débloquer tout ça, trauma qui inquiète ses parents. Pile au début du lycée. Field day with that crap. Hilarité dans son soudain silence, cible facile des railleries qui ne peut se défendre. Pas qu’elle le faisait d’habitude, technique de la sourde oreille pour tenter d’éviter l’escalade. La muette, surnom qui la suit depuis. Mais les séances finissent par payer. Elle commence à murmurer des trucs, voix rauque et larmes aux yeux. Première année de lycée aux airs de ballade en enfer, ballade qu’elle finit par terminer, voix à nouveau fluette lors des beaux jours.

Frère finit par se tailler. Les rêves du père ne sont pas compatibles. Il ne veut pas des études, il ne veut pas de cette pression, cette vie tracée. Il veut un van, une guitare, sillonner d’autres villes paumées jusqu’à atteindre peut-être une plus grande. Baroudeur qui brise les cœurs, regard voilé d’étoiles lointaines. Vague de promesses qu’elle sait creuses, certitude qu’il part pour ne plus vraiment revenir. Rares appels, succinctes cartes postales affichées sur le frigo...et un vide qui ne sera jamais rempli. Another hole in the chest.

Papa au front de plus en plus plissé. Au début, il gardait un sourire, quelque peu incrédule face aux blessures bizarroïdes, aux urgences dignes des cassettes regardées les dimanches soirs...quotidien un peu bousculé qui le déroute, mais il pense que c’est l’affaire d’une fois. Ou deux. Ou trois. Ou peut-être quatre ? Le compte grimpe et il ne s’arrête pas. Il arrête d’en parler mais elle n’est pas dupe. Surtout quand il lui demande encore et encore d’être prudente, de bien faire attention...ne pas finir sur sa table d’opérations en somme. Quelque chose rode. Et ça l’obsède tout doucement, questions trottant dans un coin de sa tête, encore et encore. She should be afraid...but she wasn’t.

Puis elle croise leur route. Victime d’un mauvais coup, retenue injuste où elle se pointe, résignée. Un peu en colère aussi. Bouillonnement sourd mais qui est là, fatigue d’être la bizarre, la cible, celle qui n’a personne à part elle-même. Mais elle dit rien, parce qu’il y a rien à dire. Puis un truc se passe. They don’t make sens...but they do. Et elle se met à espérer, petite étincelle où elle se dit que peut-être. Peut-être n’est-elle plus obligée d’être seule. Donc elle reste et son cœur bat un peu plus fort qu’auparavant.

Little things : chat noir avec un collier bleu, compagnon des soirées à ronronner sur les genoux – so many books – excellente grimpeuse – adore préparer des cupcakes – red bicycle – aime faire des listes, pour tout, tout le temps – son walkman, son bébé – habitude de monter sur le toit pour contempler les étoiles – apprend à tricoter – dancing in her room – dessine pour se vider la tête, murs de sa chambre toiles disparates – boîte sous le lit, boîte du cœur – porte souvent du bleu – monopoly savage – visite la tombe de sa tante tous les mardis – rêve de visiter l’Europe – mordille ses lèvres quand elle est nerveuse – ses cadeaux sont toujours emballés dans du papier à pois – neat writing – ne jure que par le milkshake à la fraise – attache ses cheveux en cours – ses proches l’appelle Becca – porte une chevillière avec une étoile et une fée – son frère lui a appris à jouer de la guitare mais elle n’aime plus pas