((1)) In our family portrait, we look pretty happy : Les King sont une vieille famille de Hawkins qui gère la scierie. C’est une entreprise prospère avec de nombreux contrats dans l’exploitation du bois à travers le comté. Ils possèdent aussi la menuiserie de la ville. Les King c’est une famille de magazine, kakis et polos pour les hommes, twin-set et perles pour les femmes qui vit dans une belle et grande maison avec piscine. Ils vont à la messe deux fois par semaine et les enfants suivent des cours de catéchisme toutes les semaines. Ils sont fiers de leur nom, de leur pouvoir sur la ville, de leur héritage et de leurs valeurs traditionnelles. Le genre qui se définit comme « très religieux », entendez par là « très intolérants ». River a grandi dans cet univers où on a tenté de lui inculquer qu’un homme doit être un homme, une femme doit être une femme et tout un tas de pensées complètement stupides du même genre. Et s’il avait le malheur de ne pas se conformer à ce cadre auquel on tenait tant, il était réprimandé. On haussait le ton, on tapait du poing sur la table et parfois aussi on levait la main sur lui.

((2)) Original family disapointment : « Sois un homme. Lève-toi ! Fais pas ta chochotte ! » Ha le fameux mot qui revient souvent dans la bouche paternelle. River n’a pas envie de jouer au baseball avec le reste des membres masculins du clan King. Il préférerait aller aider à la cuisine pour préparer le repas dominical. Mais la cuisine c’est pour les femmes. Si au moins on le laissait tranquille dans un coin, seul avec un livre. Il adore lire. Lire d’accord, il se cultive, mais il ferait mieux de lire des classiques comme Tom Swayer plutôt que de stupides contes de fées. Pas trop lire non plus car il ne faudrait pas se farcir la tête de bêtises. Un garçon doit être dehors, se dépenser et être bon en sport. Un garçon ne doit pas écouter trop souvent de la musique et danser seul dans sa chambre. River ne colle pas avec la vision familiale. Il est trop gentil, trop calme, trop rêveur.

((3)) He played the king like he was afraid someone else would play the ace : Il en a assez d’entendre le mot « chochotte » à longueur de journée. Il n’en peut plus de se prendre gifle après gifle. D’être moqué par les frères et cousins, bousculé dans la cour de récréation. Et d’entendre pire encore que « chochotte ». Le jour où Danny Bennett lui souffle à l’oreille « tapette », le même petit Danny qui sert à messe tous les dimanches, son sang ne fait qu’un tour. Tant pis s’ils sont dans la salle de classe, il se lève et lui fracasse son ardoise sur la tête. Son père est convoqué mais contre attente, tandis que la maîtresse raconte horrifiée la violence de la scène, ce dernier répond que son fils n’a fait que se défendre. Son fils ? Depuis quand ne l’a-t-il pas appelé son fils ? Depuis quand n’a-t-il pas vu autant de fierté dans son regard ? C’est décidé, River va être celui qu’on attend. Il ne veut plus voir une autre expression sur le visage paternel.

((4)) And i said no, you know like a liar : « J’tais jamais vu avec une fille. Pourquoi t’as toujours pas de copine ? Bah alors King, tu vas pas nous dire que t’es une pédale quand même ? » On a monté d’un cran dans les insultes. Le mot frappe plus dur que des poings. Il serre les dents, inspire et éclate de rire. « Mais où est-ce que tu apprends tout ce vocabulaire ? Ça s’appelle la discrétion, Bennett, tu devrais essayer. Et si j’avais une copine officielle, je priverai le reste de la population féminine de mes charmes. Un véritable gâchis. » Un mensonge. Un de plus. Tous les jours, il ment, il prétend être un autre. Qu’on lui donne un Oscar ! Danny semble convaincu – oui le même Danny Bennett qui l’avait appelé « tapette » et qui visiblement a un problème avec les homos - de même que le reste de la tablée qui opine du chef comme à un rassemblement politique. Ils boivent ses paroles, ils le suivent partout, lui obéissent au doigt et à l’œil. Il n’est pas seulement River King, un des golden boys, il est THE King of Hawkins High, capitaine de l’équipe de natation, le chéri de ces dames. Il a tout pour lui, une aura de perfection et un avenir tout tracé. Il épousera une des plus jolies filles du lycée, ils auront six enfants et une fois son diplôme en poche, il rejoindra l’affaire familiale, la scierie ou la menuiserie, son père lui a dit qu’il pourrait choisir. Quand il arrive à l’école le matin, tous les regards sont braqués sur lui et sa sublime voiture. Cadeau du paternel. « Tu la mérites, fils. » lui avait-il dit en lui lançant les clés. River avait bredouillé des remerciements, que sa famille avait mis sur le compte de la surprise. Mais ce n’était pas ça. Il ne méritait pas ce cadeau. On le récompensait pour être une farce.

((5)) Why did we put all our hopes in a box in the attic ? : River n’a pas complètement renoncé à ses loisirs. Il les vit en secret. La nuit dans son lit, il lit, que dire, il dévore tout Tolkien et de la fantasy. Il sort son petit lecteur de vinyle pour écouter la « musique du diable » quand personne n’est à la maison, caché dans son placard. Au sens propre comme au sens figuré. Son placard, c’est son sanctuaire, où il dissimule ses disques, ses livres, ses revues. Il va au cinéma mais prétend être aller faire des échanges de balle avec son parrain Owain. Ce dernier est aussi son cousin et son meilleur allié, son alibi pour toutes ces activités jugées inappropriées par sa famille. Avec Owain il n’a pas besoin de faire semblant. Ils se comprennent, ils se soutiennent, ils se serrent les coudes. Heureusement que le clan King adore les réunions de familles, au moins il sait qu’il y trouvera un regard complice. « Alors… c’est quoi le plan de carrière ? La scierie ou la menuiserie ?» demande Owain en lui tendant une limonade. River soupire, parce que la seule alternative entre travailler pour un King ou un autre ne l’enchante guère. Il voudrait étudier le cinéma, travailler dans les effets spéciaux, apporter la magie à l’écran, rendre possible la création d’un univers imaginaire. Mais on ne quitte pas les King, pas plus qu’on ne quitte Hawkins facilement. Le père n’acceptera jamais de lui payer l’école, ni lui donner une petite avance pour s’installer dans une autre ville. Il ne laisse pas son fils se trouver un petit boulot pour commencer à faire des économies. « C’est tout à ton honneur de vouloir gagner ton propre argent mais pourquoi tu veux un autre travail que celui de la famille ? » Parce qu’il n’en rien à faire de l’entreprise familiale ! Il s’en tape ! Il veut faire quelque chose qu’il aime pour une fois ou à défaut quelque chose qui n’aurait rien à voir avec les tous puissants King de Hawkins.

((6)) Dear heart, why him ? : De toutes les personnes de son âge qui peuplent le lycée, il a fallu que ce soit lui. Billy McCarty. Billy « The Freak » McCarty. Son cœur s’emballe à sa vue. Il le voit sourire et son estomac se noue. Il sent ses yeux sur lui et il prend feu. Billy n’a rien pour plaire au King, mais il a tout pour séduire le vrai River, caché sous le vernis du golden boy. Ils partagent les mêmes centres d’intérêts en musique et en littérature. Il admire son assurance, son anticonformisme assumé, son courage d’être tout simplement lui, que cela plaise ou non. River est un pleutre, un menteur, une tromperie. Billy est brave, sans filtre, authentique. Il aime sa force de caractère, sa personnalité unique mais aussi ses boucles d’ébène, ses yeux si profondément marrons, son sourire qui illumine son visage et toute la pièce, sa gestuelle théâtrale et grâcieuse, ses mains décorées de bagues, ses longs doigts fins… Soudain toutes les chansons d’amour parlent de lui. Il le protège quand il peut, comme il peut, quand les autres le bousculent et le malmènent, prétendant agir par intérêt, pour avoir la drogue qu’il vend à bon prix. C’est à lui qu’incombe la besogne d’acheter de l’herbe au jeune homme. Besogne pour les autres, bonheur pour lui. Cela lui permet de passer un peu de temps en sa compagnie. Il n’a jamais été aussi heureux que le jour où ils ont dû travailler sur un devoir commun. Comment le reste de la classe a pu ignorer le ravissement qui s’est emparé de son visage à ce moment-là, le mystère reste encore entier. Il l’a invité chez lui, contenant difficilement son envie de lui parler de tout autre chose que du sujet leur travail. Échec lamentable, il l’a entrainé dans son placard pour lui montrer avec une certaine fierté le dernier album d’un groupe qu’ils affectionnaient tous les deux. « Mes parents me jetteraient dehors s’ils savaient. Alors je les garde cachés ici. » C’était devenu leur secret et il adorait ça. Partager un secret à défaut de partager autre chose. Ils ne pouvaient pas être amis au lycée mais il y avait quand même quelque chose entre eux. Une interaction plus précieuse que toutes les relations de River. Billy le provoque, s’amuse à le contrarier et à le défier pour le plus grand enchantement de River qui prie intensément pour que personne ne remarque le rouge qui lui monte aux joues.

((7)) I made my baby cry. I made my baby say goodbye. Elle est parfaite. Sabrina McCallister. Golden girl, devenue à son bras reine consort. Belle, sportive, douée pour le théâtre. Là voilà, la plus jolie fille du lycée, celle qu’il épousera et avec qui il aura des enfants. Ils partiront ensemble pour Hollywood, elle sous les feux des projecteurs et lui derrière les caméras. Enfin ça c’est le plan que les autres font pour eux. River ne peut pas être vraiment avec elle, parce qu’il n’a d’yeux que pour Billy, parce qu’encore une fois il ment. Il joue le petit ami. Il l’aime bien mais il ne peut y avoir rien de plus. Elle ne mérite pas qu’il la traite ainsi, l’utilisant malgré elle dans sa fraude. Il panique, il est au bord des larmes quand elle tente d’être plus intime. Elle croit que c’est sa faute, que le problème vient d’elle. Et il ne dit rien pour la rassurer, il s’enfonce dans son mensonge, il la maltraite pour garder son secret et il se déteste tellement pour ça. « Je rêve ou McCarty vient de te faire un clin d’œil ? » Elle rit et c’est comme entendre un oiseau zinzibuler. « Jaloux ? » « Ho oui, terriblement. » Mais ce n’est pas ce qu’elle croit. Il est jaloux que ce clin d’œil ne soit pas pour lui, que ce n’est pas lui que Billy dévore des yeux. Pourtant s’il y a bien une personne avec qui il voudrait en parler c’est Brina. Depuis son accident qui a mis fin à sa carrière de gymnaste, il voit bien qu’elle ment, qu’elle prétend aller bien et que c’est faux. Lentement le vernis se craquelle et bride par bride, ils se confient l’un à l’autre, enfin.

(() The saddest word in the whole wide world is the word almost. Le lycée se termine. River et Sabrina sont allés ensemble au bal de promo. Aux yeux de tous en tant que couple parfait, en réalité en tant qu’amis. Ils sont en bons termes, commencent à être véritablement eux-mêmes. River se sent pousser des ailes. Il est prêt à tenir tête à son père pour la scierie, encore quelques mois à économiser et il pourrait faire son école de cinéma. Naïvement il espère que Brina partira avec lui et qu’ils pourront réaliser leurs rêves. Plus naïvement encore il se sent même le courage d’inviter à nouveau Billy chez lui. Il profite des absences de sa famille pour le faire venir dans sa maison. Dans sa chambre, ils écoutent du métal, discutent de leurs livres et films préférés et fument un joint, comme ils auraient voulu le faire depuis le début du lycée, comme ils auraient dû le faire. « Pourquoi est-ce qu’on a pas fait ça plus tôt ? » Tout ce temps perdu. Mais ils vont le rattraper, ils ont la vie devant eux pour enfin devenir les amis qu’ils auraient pu être. Et peut-être plus que des amis. Ils profitent de la piscine pour se rafraichir par une chaude soirée d’été, jeans remontés jusqu’aux mollets. Leurs doigts s’effleurent sur le rebord de la piscine, puis s’enlacent. River ne dit rien, le souffle coupé par les sensations qui l’envahissent. Tout son corps est parcouru d’électricité. Il admire le visage de Billy, éclairé par la lumière bleutée du bassin. Ce dernier tend la main vers lui, vers ses lèvres. L’anticipation d’un possible contact lui fait oublier de respirer. Le pouce du jeune homme effleurant sa lèvre inférieure lui donne le tournis. Leur élan est stoppé net par un bruit métallique, ses parents ayant lâché leurs clefs de stupeur. Billy bondit sur ses pieds, embobine ses hôtes et se raccompagne tout seul à la porte. River est seul avec ses parents qui lui ordonnent de ne plus traîner avec ce garçon peu recommandable. Il promet. Mais il recommence. Parce qu’après cette soirée, ce contact et ce qu’il a vu dans le regard de Billy, il ne peut pas en rester là. Le risque est grand mais le jeu en vaut la chandelle. À nouveau, il profite d’une absence familiale pour introduire le bad boy dans sa chambre. À la lueur d’une lampe de chevet, assis sur son lit, leur jambe l’une contre l’autre, ils chuchotent comme s’ils craignaient de briser l’enchantement de la nuit. River demande à Billy de lui montrer ses bagues. Le cœur battant, il lui prend la main, admire les bijoux mais surtout la finesse de ses doigts, la douceur de sa peau qui contraste avec les callosités aux extrémités dues à la pratique de la guitare. « Tu as de si jolies mains… » murmure-t-il avant de presser ses lèvres contre ses phalanges. La porte s’ouvre. Ses parents sont là. Il voit une fureur sans nom sur le visage de son père. River bredouille des paroles inintelligibles. Il se place devant Billy pour le protéger parce qu’il ignore vers qui la colère va se déchaîner et il ne le laissera pas le blesser. Contre toute attente, son père ne le frappe pas, ni lui, ni Billy. Sans un mot, il le saisit par le col et le traine vers la sortie. Il le jette dans la voiture et roule. Ils roulent des heures, sans échanger une parole. Puis le paternel lui rappelle que c’est l’Enfer qui l’attend, qu’il doit se repentir. Et Sabrina, il a pensé à Sabrina ? Et la scierie ? Et son avenir à Hawkins ? Il va expier ses péchés par le travail, en participant à une mission avec la paroisse. Le pasteur est un cousin. Il va aider à construire une salle polyvalente pour une petite ville. Il restera là-bas jusqu’à la fin complète des travaux et seulement après, il pourra rentrer, si le pasteur est d’accord. River s’écrase. Il ne reverra plus Billy et n’aura pas l’occasion de lui écrire.

((9)) I didn’t change. You just never knew me. Le temps passe. La mission s’éternise. River se met à croire que peut-être, avec un peu de volonté, il pourrait être ce qu’on attend de lui. Il essaie. Il écoute son cousin pasteur, tente de renoncer à ses « pensées déviantes ». Parfois il a envie de hurler, de tout envoyer balader, de retourner à Hawkins, de retourner auprès de Billy. Parfois il se laisse convaincre qu’il touche presque au but, il se donne encore une année pour triompher de « ses démons ». Avec du temps, les désirs s’amenuiseront, s’éteindront et il pourra rentrer chez lui, pour devenir un homme accompli et respectable. Il n’épousera pas Sabrina, ils ont rompu d’un commun accord. Elle est partie pour Hollywood. Ils s’écrivent et s’appellent, étant plus honnêtes l’un envers l’autre qu'ils ne l'avaient jamais été du temps où ils étaient ensemble. Il accepte des rendez-vous avec des jeunes filles. Elles sont charmantes, ils passent de bons moments mais dès qu’elles espèrent plus, effleurant son bras, caressant sa joue, il frissonne. Il n’est pas prêt. Alors il se donne encore un an. Le manège dure. Quatre années s’écoulent avant le retour du fils prodigue. « Oncle River, tu pleures ? » Il sourit à son neveu. « Non. Juste mal aux yeux. Ça fait une heure que je te lis des contes de fées dans la pénombre. Tu ne veux pas t’endormir maintenant ? » « S’il te plaît, on finit Blanche-Neige et après promis, je m’endors. » Pour cette adorable petite bouille, il accepte. Les enfants l’aiment bien et il les aime bien aussi. Il relit donc le début du conte. Peau blanche comme la neige, chevelure noire comme l’ébène, lèvres rouges comme le sang. Dans son esprit ce n’est pas la plus belle d’entre toutes qui se dessine mais le plus beau. Ce n’est pas une princesse mais un prince dont le visage est gravé dans sa mémoire. Alors c’est ça, la vie qui l’attend ? Des regrets, des mensonges et des larmes ? « Tu sais, c’est pas grave de pleurer. Moi aussi je pleure quand je suis triste. Tu es triste, oncle River ? » Il embrasse le petit garçon sur le front et continue de lire. Une fois l’enfant endormi, il redescend pour rejoindre les adultes dans le salon. Owain l’accueille avec une tape sur l’épaule et une bière. Quelques jours plus tôt, ce dernier lui a appris que Billy avait quitté la ville avec son oncle. Une partie de lui a pensé que c’était pour le mieux, tandis qu’une autre a étouffé une irrépressible envie de cogner un mur. « Demain tu viendras avec moi à la scierie. » River regarde son père avec surprise. Ce n’est pas une invitation, c’est un ordre, sans même prendre la peine de tourner sa tête vers lui. Sa mère lui demande des nouvelles de Sabrina. River baisse les yeux, contemple sa boisson. « Bon sang, frangin, quand vas-tu enfin la demander en mariage ? Une fille pareille, ça ne se laisse pas filer. » Cedar a raison. Mais Brina mérite bien mieux. Il leur rappelle qu’ils ne sont plus ensemble. « Alors quoi, elle n’est pas assez bien pour toi ? Moi à ta place ça fait longtemps que je l’aurais épousé. Ou alors… ce n’est pas ton genre ? … Les jolies filles. » Son frère s’est rapproché de lui, lui envoyant des relents d’alcool au visage. River serre sa bouteille, faisant blanchir les jointures de ses doigts. Il sait ce que son frère va dire, il le défie du regard d’oser prononcer le mot à voix haute, devant lui, devant toute la famille. « Tapette. » Le verre se brise en tombant au sol tandis qu’il empoigne son frère et le plaque contre le mur. Le reste de la famille crie, leur ordonne d’arrêter, s’interpose pour les séparer. River lâche sa prise, aussi violemment qu’il s’en était emparé, faisant tituber son frère. Il fait volte-face, claque la porte d’entrée. Owain le rattrape. « Il ne pense pas ce qu’il dit. Il a trop bu. » « Tu sais très bien que c’est faux. Ils pensent tous la même chose là-dedans » Il pointe la maison du doigt. « Et tu sais quoi Owain ? Ils ont raison. Ils le savaient même avant moi. Je suis une chochotte, une tapette, une pédale ! » Il n’en peut plus de ces mots plus durs que des coups, il préférerait encore qu’on le cogne pour le vrai. Mais quand ils sortent de sa bouche, il a l’impression de leur renvoyer les pierres qu’on lui jette depuis tout petit. Il n’a pas peur de les dire, de les hurler sur la pelouse, en pleine nuit. Les voisins peuvent bien l’entendre, il s’en tape. Il est tellement furieux qu’il en tremble. « La tapette se barre ! »

((10)) Smalltown boy Adieu Hawkins. Bonjour Indianapolis. La grande ville lui ouvre de nouveaux horizons, de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres. Il peut être lui-même, ou presque. La nuit, il n’a pas besoin de faire semblant, de mentir, portant le nom de « tapette » comme une fierté. Il en rit avec ses nouveaux amis. Dans le club secret, situé dans une cave, ils peuvent parler de leurs histoires sentimentales à cœur ouvert. Ils sont les premiers à qui il confie son béguin pour Billy. Il connait quelques aventures mais rien de sérieux parce qu’il n’arrive pas à tourner la page. Un soir, la police fait une descente. River passe par la porte de derrière, se fait attraper au col par une main avec une sacrée poigne. Le souvenir de la nuit où son père l’avait empoigné de la sorte ressurgit avec force, le paralysant sur place. Le policier lui fait signe de se taire, un doigt sur la bouche, avant de le guider vers deux ruelles plus loin, rejoignant des membres du club. « T’inquiètes c’est Jerry. Il nous sauve les miches à chaque fois. D’ailleurs t’aurais pu appeler pour prévenir. » L’homme en uniforme rit. Il doit avoir un début de cinquantaine. « Vous avez déjà de la chance que je sois de service ce soir surtout ! Je me fais vieux, un de ces jours il faudra vous trouver un autre ange gardien. » Jerry le raccompagne chez lui. Sur le trajet, ils discutent. « Alors comme ça tu es nouveau dans le coin ? Qu’est-ce qui t’amène à Indy ? » « Ça craint d’être une pédale dans mon bled. » « Je crois que le terme adéquat est homosexuel, non ? J’ai toujours trouvé que pédale était un terme très injurieux. Non quitte à trouvé un surnom, autant choisir de la poésie. Certains utilise ‘Ganymède’, tu connais ? » « L’échanson des dieux, l’amant de Zeus. » « Plutôt classe, hein ? Plus classe que tous ces noms d’oiseaux. » Ils se revoient plusieurs fois pour discuter autour d’un café. Pour River c’est une évidence, il veut devenir agent de police, comme Jerry. Protéger et servir. River intègre l’école de police, obtient son diplôme et patrouille auprès de son mentor jusqu’à la retraite de ce dernier. Sabrina et lui continuent de s’écrire et de s’appeler. Il vient même lui rendre visite une fois. Il découvre qu’elle continue à berner son monde alors que sa carrière stagne. Il lui prête de l’argent, promet de ne rien dire aux autres. Complices dans le mensonge encore une fois. Un soir, au téléphone, elle lui annonce qu’elle va se fiancer avec son frère, Woody. River manque de s’étouffer. Woody ? Mais pourquoi ? Il lui plaît. Elle pense qu’elle sera heureuse avec lui. River a des doutes mais qui est-il pour lui dire quoi faire de sa vie ? « Tu es invité aux fiançailles. Mère veut que tu sois présent. Et Sabrina aussi. » Forrest, l’ainé de la fratrie, est venu en personne lui délivrer l’invitation. Comme c’est aimable de sa part. « Cedar regrette, tu sais. » « On sait tous les deux que c’est faux. » « Tu ne peux pas rester éternellement éloigné de ta famille, River. Tu es un King. Il y aura toujours une place pour toi à Hawkins. » « À condition que je reste dans le placard, pas vrai ? » Forrest soupire. « Tu étais plus facile à gérer avant. » « Désolée grand frère, cette époque est révolue. » « Tu viendras ? » « Je viendrai. » Et il est venu. Il a observé son frère parader comme un coq avec Sabrina à son bras. Ce crétin a même eu le culot de lui demander devant tout le monde s’il ne lui en voulait pas de lui avoir piquer son ancienne copine. River lui a renversé sa coupe de champagne sur ses mocassins. Par accident, bien sûr. Il a passé le reste de la soirée avec Owain. « Y a une place de libre au bureau du shérif, tu sais. » « Et ? » « Reviens, s’il te plait. Tu nous manques. » River ricane. « Ton père a demandé à ce qu’on la garde pour toi. » Quand un King demande, la ville obéit. « C’est juste un autre moyen qu’il a trouvé pour me contrôler. » Il refuse d’être la marionnette de son père. « Sans doute. Mais tu n’es pas obligé de lui obéir. Et tu pourrais rester parmi nous, dans cette ville que tu aimes malgré tout. Tu l’as dit toi-même, on ne quitte pas les King, pas plus qu’on ne quitte Hawkins facilement. » River hésite. Owain marque des points. « Il est revenu. » Owain marque le point décisif. Il obtient le poste, parce que ce que King veut, King l’obtient. Un soir de patrouille, il retrouve Billy. Il a dix-sept ans à nouveau. Son myocarde joue un solo de batterie endiablé. Il est censé l’interpeller pour détention de stupéfiant mais il le laisse partir. Leurs petites habitudes reprennent avec une fougue dédoublée. River a enfin la confiance suffisante pour répondre à ses douces provocations et il n’y a plus de parents pour risquer de les interrompre.


Strawberries and cigarettes : Il a commencé à fumer au lycée, pour faire comme les autres, caché avec ses potes derrière le gymnase. Sur le chemin du retour, il remplissait sa bouche de bonbons à la fraise au goût bien chimique pour masquer l’odeur de tabac. Même après avoir quitté le domicile familial, il a continué. C’est devenu une habitude, un automatisme. Cigarette puis bonbon à la fraise. Drink tea angrily : C’est son carburant. Il a horreur du café, n’en supporte même pas l’odeur. Le matin en arrivant au travail, il entre dans la salle de repos, il met l’eau à chauffer, il ouvre la fenêtre puis il boit son thé en observant le paysage. La pause thé, c’est sacré. Le matin, c’est pour le thé et le silence. Ses collègues le surnomment « english guy » ou « milord » pour le chambrer. Swear jar : Il dit très peu de gros mots, et même quand il en dit c’est plutôt léger. Chez les King, on n’invoque pas le nom du Seigneur en vain et on modère son langage, sous peine de se prendre une claque. Encore aujourd’hui quand il en dit un, il courbe le dos comme s’il sentait la main paternelle le menacer. Quand un collègue emploi un mot vraiment grossier, il lui indique du doigt la « swear jar », ce qui fait rouler des yeux tout le monde mais devant lui, on s’exécute. Il a encore un certain charisme. Paint it black : Quand il ne porte pas sa tenue de travail, il est habillé avec des couleurs sombres et principalement du noir. Il aime porter du noir. Pourtant sa couleur préférée est le jaune, le jaune bouton d’or, le jaune des couchers de soleil. More : Sa vue se fatigue vite. Il porte de plus en plus souvent des lunettes – Quand il est nerveux il passe sa main dans ses cheveux et se pince les lèvres – Il aime cuisiner pour les autres – Les jeunes enfants l’aiment bien et lui aussi – littérature : TOLKIEN, C.S. Lewis, Stephen King, les romans de chevalerie, les récits mythologiques, le cycle de Dune, Frankenstein… – musique : Iron Maiden, Metallica, Kiss, Queen, Bruce Springsteen, Dio, Patti Smith, Stevie Nicks et Fleetwood Mac, Tchaïkovski (y a pas plus rock que le Lac des Cygnes) … – cinéma : Star Wars, The Rocky Horror Picture Show, Soleil Vert, Dark Crystal, Le Seigneur des Anneaux, L’âge de cristal…