C'était dur pour lui, de se tenir là, droit comme un piquet, comme invincible face à une plaque de pierre qui résumait pourtant toute une existence, une vie entière. Mais c'était comme ça, il le fallait. Il y avait son petit frère accroché à sa main, qui était secoué de sanglots. Il y avait sa mère, à deux pas d'eux, le regard figé dans le vide, comme éteint. Malo n'était pas encore prêt d'imaginer qu'elle ne puisse pas en ressortir. Il aurait voulu pleurer jusqu'à pouvoir mourir lui aussi, il aurait voulu montrer que rien n'allait dans son cœur ; son père lui avait toujours dit que montrer ses faiblesses n'avaient rien d'une honte ni d'une erreur. Que c'était le seul moyen qu'on puisse nous comprendre assez pour pouvoir nous aider. Mais Malo ne pouvait pas être aidé, il le savait. Qui aurait pu apaiser cette douleur indescriptible qui était née dans sa poitrine ? Personne. Et au contraire, c'était à lui de le faire - d'aider. Se montrer fort pour son frère, même pour sa mère. C'est toi l'homme de la maison désormais, avait soufflé un ami de son père, la gorge sensiblement nouée. Rien ne faisait sens, pour Malo.

Quitter leur maison avait été une autre épreuve. Comment s'imaginer quitter cette baraque pleine de souvenirs, d'images floues de ce qui restait encore de son père ? Comment quitter les rues qu'ils avaient arpentées ensemble, comment partir quand son père était encore là, lui ? Mais comme à l'enterrement, il avait été impassible, consolant son frère, aidant sa mère à emballer les cartons parce qu'elle tremblait beaucoup trop pour le faire. Faire comme s'il ne voyait pas la manière dont elle évitait de les regarder. Malo ne savait pas bien si c'était parce qu'ils lui ressemblaient trop, ou si c'était parce qu'elle ne supportait plus l'idée d'avoir une famille quand son mari n'était plus là. Ils s'étaient battus ensemble pour accueillir ces deux garçons et maintenant, elle se retrouvait seule, comme écrasée sous le poids de devoir s'occuper d'eux avec un compte en banque plus vide et un cœur brisé en mille morceaux.

Trop aveuglée par sa douleur, elle ne pouvait pas trouver le moyen de s'occuper de celle de ses fils. Sans doute que c'était inconscient pour elle, qu'elle ne réalisait pas combien elle pouvait en rajouter. Que des mots, des gestes juste un peu plus brusques. Elle ne voyait pas les quelques bleus qu'elle laissait sur son sillage, les larmes qu'elle provoquait, le regard tremblant de Malo qui gardait les épaules droites pour soutenir le plus jeune qui menaçait d'en partir plus que de raison. Toujours là pour s'interposer, autant que possible. Conseillant subtilement au plus jeune d'éviter leur mère si lui n'était pas là, parce que maman était fatiguée, maman n'allait pas très bien et il n'y avait que Malo pour vraiment supporter de la voir comme ça. Pour faire croire qu'il supportait de la voir comme ça. Mature, poussé à grandir trop vite et pourtant encore si innocent. A se dire que c'était normal que sa mère soit si triste. A tenter, toujours, de la comprendre. L'excusant à chacune de ses maladresses, à chaque parole blessante, à chaque coup involontaire - involontaires, ils l'étaient, mais l'impact était là, sans qu'aucun d'entre eux n'en saisissent la portée.

Malo, arrivé à Hawkins, ce n'était plus vraiment le même. Il n'avait pas envie qu'on le plaigne, n'avait pas envie qu'on ait pitié, se fichait qu'on puisse se moquer. Distant, maladroit, il ne savait pas vraiment comment aborder les autres et n'étaient pas certain de vraiment le vouloir. Se laisser approcher, c'était tout aussi dur. Même quand l'impression de tomber sur quelqu'un de bien était là, lui il faisait tout pour reculer, terrifié à l'idée d'agrandir le creux dans sa poitrine. Alors il misa sur l'indifférence, un air froid, des répliques cassantes, pour tenir les autres à l'écart, autant que possible, gardant un œil attentif sur le visage rayonnant de son frère quand il le voyait avec ses amis. Peu importait qu'on le trouve bizarre, désagréable, peu importait qu'on discute derrière son dos, à tenter de comprendre d'où il venait. On connaissait encore un peu sa mère dans le coin alors la nouvelle du décès de son père ne fut pas longue à s'étendre dans la ville. On comprenait soudain mieux son air farouche, leur peu de moyens, le quartier où il vivait et l'air perdu qui ne quittait jamais sa mère. Alors l'étonnement passé, c'était comme s'ils s'étaient tous inscrits dans le décor.
Plus grand chose à fouiller, pas de vérité cachée à trouver derrière les rideaux aux fenêtres.

malo
il adore la musique classique, il n'écoute presque que ça, sans trop savoir d'où ça lui vient ;; il porte toujours sur lui un pendentif en argent qui appartenait à son père ;; il a toujours plusieurs bouquins dans son sac pour passer le temps entre les cours ;; il a souvent un air blasé, voire un peu condescendant, juste pour repousser les autres - il n'y a que son petit frère pour ramener un sourire sur ses lèvres ou même lui arracher un rire ;; s'il minimise largement le comportement de sa mère envers eux, trop compréhensif, il a malgré tout honte d'imaginer exposer ses blessures (physiques comme psychologiques) ;; on le trouve souvent trop taiseux, mais quand on arrive à lui arracher plusieurs phrases, on aime rarement ce qui sort de sa bouche ;; ses cheveux ne sont pas toujours faciles à coiffer et il laisse souvent tomber la bataille contre eux, gardant ses mèches dans tous les sens ;; même s'ils ont peu d'argents et que sa garde robe n'est pas des plus incroyables, il se contente tellement d'habits simples et unis qu'on trouve en vérité qu'il ne s'habille pas si mal que cela ;; il a gardé l'habitude de s'emmitoufler dans une écharpe et un bonnet en hiver, juste par souvenir de son père qui ne le laissait jamais sortir sans ;; on l'avait trouvé très indifférent sur la perte de son père quand ils sont arrivés et on lui fait encore la réflexion parfois ;; il a du mal à se laisser la possibilité de pleurer, même seul le soir, comme s'il laissait tomber son petit frère ;; depuis qu'il travaille au cinéma, sa mère est plus souvent calme les soirs après le travail et il se contente de parler de "crises" quand parfois cela ne va plus ;; il dessine énormément, uniquement au crayon de papier car il n'a pas les moyens de s'acheter du fusain et il ne dessine jamais rien d'autres que des portraits ou paysages réalistes. c'est comme un moyen pour lui d'y glisser ses sentiments en même temps ;; son pêché mignon est le thé, chose que sa mère, buveuse de café, n'a jamais compris ;; il est fasciné par les étoiles et comme il a souvent du mal à dormir, il termine régulièrement allongé dehors pour observer le ciel.