(one day you'll be king) Naître King c'est voir tout son futur déjà tracé, savoir que si on est un garçon, on finira par travailler dans le bois, que ce soit à la scierie ou à la menuiserie, que si on est une fille, on sera dévouée à la vie de famille et à prospérer l'héritage King. C'est aussi être élevé dans des valeurs qui touchent, d'aller à la messe deux fois par semaines, d'être croyant et d'essayer de faire taire ce qui pourrait ne pas suivre le fil conducteur, c'est obéir aux codes pour ne pas se faire réprimander, pour ne pas se prendre une gifle monumentale qui laissera une marque rouge et une douleur vive au niveau du coeur, des larmes de douleur et de honte. C'est savoir qu'on finira dans un mariage, parfait ou non, avec le but bien précis d'avoir là aussi une ribambelle de gamins, dont la tradition des noms en rapport avec la nature sera préservée aussi, c'est montrer patte blanche et devenir l'élite. Et surtout, surtout, ne jamais s'éloigner de la ligne de vie qu'on leur a gentiment tracée dès la naissance.
(but blood is thicker) Oak King n'est pas un père aimant, à peine un père, qui a préféré avoir une descendance plus pour la forme et garder la lignée, que pour réel intérêt. Anthea King, elle, c'est un peu plus différent, elle aspirait à entrer dans cette famille qui assurait une certaine sécurité et une certaine reconnaissance, au point d'en oublier une petite part d'elle, mais elle rêvait aussi de pouvoir être une mère aimante, de pouvoir s'occuper de sa famille. Malheureusement, ça a été assez compliqué. Ils ont eu leur premier fils, Storm, et leur second fils n'est arrivé qu'une dizaine d'années plus tard, et ce n'était pas faute d'avoir essayé, pas faute d'avoir crié et tapé sur sa femme en supposant que le problème venait d'elle. Hollis King, né avec dix ans de différence, donc, est certainement tout ce que la famille King attend d'un enfant, mais plus par crainte de déroger à la règle que vraiment dans l'optique de suivre les principes, trop doux, trop gentil, trop naïf sans doute, et l'éclat qui brille dans ses yeux en dit long, il veut juste éviter de fâcher leur père et ferait tout pour que la famille soit heureuse.
(bring me home in a blindin' dream) On ne passe pas à côté des traditions en grandissant, tous les dimanche, et le plus possible, les enfants sont réunis pour pouvoir jouer ensemble, les garçons avec les garçons, les filles avec les filles. Storm s'est retrouvé souvent en compagnie de River, les deux garçons du même âge se suivant clairement dans les années scolaires, toujours à être dans la même classe, à croire que c'était expressément demandé. Forcé de se côtoyer, les deux se sont vu grandir jusqu'au lycée et étaient un peu forcés de se lier, et si pendant longtemps Storm n'a jamais été vraiment dérangé par l'idée, il ne sait plus trop quoi en penser maintenant que River a été repoussé de la famille. Quasiment dans la même tranche d'âge, il y a Elizabeth Filip, Elizabeth Murphy, une histoire étrange, son père qui a disparu du jour au lendemain, la gamine qu'il aimait un peu trop taquiner à l'école, avant qu'ils ne se lient réellement. Storm avec une vraie amie ? On se croirait presque en plein rêve, et pourtant elle était là, presque toujours.


(a series of unfortunate events) Lorsqu'il avait dix-sept ans, et Lizzie seize, ils se sont définitivement rapprochés, plus que des simples amis qui se rejoignaient pendant leurs pauses, pendant qu'elle parlait avec animation et qu'il fumait sa cigarette, plus que des sorties après les cours avant de séparer leurs chemins, lui regagnant la grandeur des King, elle son petit monde. Ils se sont rapprochés suite à une série de tragiques évènements, à commencer par la perte de la mère de Lizzie, qui l'a poussé dans une phase de rébellion, une phase qu'il n'a pas calmé et qu'il alimentait, partageant ses cigarettes avec elle, soutenant toutes ses décisions même les plus folles. Et puis dans la même année, à quelques mois d'intervalles, ça a été la perte de sa mère à lui et de son petit frère. Plongés dans la même douleur, le même besoin de faire taire tout ça, Lizzie et lui étaient devenus inséparables.
(the miserable mill) C'est bête, on répète sans arrêt que c'est dangereux d'y mettre les pieds, que les enfants ne doivent pas y jouer sans surveillance. La scierie, ce n'est pas un endroit pour tous. Et il ne sait même plus exactement ce qu'ils faisaient ici, une visite sans doute à leur père, Storm ne se rappelle plus. Il se rappelle juste de Hollis et Vine qui étaient partis pour s'amuser ensemble, pendant que sa mère et lui étaient aller voir son père. Au bout d'une vingtaine de minutes, ils étaient reparti chercher Hollis, séparés dans la scierie, pendant que lui repérait Vine aux commandes d'une machine qui a fait rouler Storm des yeux, prêt à lui dire de descendre de là, sa mère repérait Hollis un peu plus loin, face à la machine en question. Et c'est là où il ne se rappelle plus très bien. L'accident, les cris, le visage affolé de Vine, l'éclat qui est venu le blesser à la joue pendant que son regard horrifié cherchait sa mère et Hollis. L'affaire a été étouffée, la machine a eu un dérèglement, l'accident a été classé comme tragique, dévastateur, la mère et le fils enterrés dans le cimetière King, la cicatrice qui barre sa joue en témoignage.


(in your head, they are dying, what's in your head?) La solution facile, ça a été clairement d'essayer d'oublier tout ça, d'effacer le visage de sa mère, celui de Hollis, ça a été de les rayer définitivement de sa tête, de ne plus être lui-même. Comment oublier les personnes qu'on adorait le plus ? Et comment accepter qu'on reste avec la pourriture ? Storm n'a pas réfléchi longtemps. La drogue, c'était ce qui semblait évident, d'abord à petite dose, des drogues innocentes, avant de taper un petit peu plus. La cocaïne, c'est une merde sans nom, le premier fix est le meilleur, tellement bon, tellement pur qu'on en oublie tout le reste, un putain de nirvana qu'on ne retrouve plus jamais après. L'addiction qui se développe, à la recherche de ce bonheur perdu, plus de fix encore pour tenter de retrouver les premières sensations, mais en vain, et c'est le cercle vicieux où on court après la jouissance ultime, la frôler sans jamais l'atteindre complètement. Et il n'y a plus rien quand il en prend, il n'y a plus rien qu'une sensation de bonheur ultime, de planitude, pas besoin de se rendre compte des horreurs de la vie. Et après on test plus, la meth, à fumer, on apprend à en faire en tentant d'en cristalliser un peu sans faire tout péter, on se cache dans la voiture à la pause déjeuner pour fumer, et puis à la pause de quatorze heures, et de seize heures, plus à la fermeture, avant de prendre le volant. On tente un peu de ça, un peu de ça, et on se retrouve un jour à quatre pattes dans les toilettes du bureau, défoncé au LSD à chercher de la meth qu'on a fait tomber dans les rainures du carrelage.
(in the memory you'll find me, eyes burning up) Vine. Il lui en a voulu, au début, à son cousin, il l'a détesté, à chaque fois qu'il venait lui demander où était Hollis, et qu'à chaque fois c'était à lui de lui rappeler qu'il était mort, les larmes aux yeux et la rage dans tout son corps. Et à chaque fois la même réaction, Vine en larmes. Et à chaque fois, Storm qui se demandait un peu plus si c'était réellement de sa faute, au vu de sa réaction et de son traumatisme. Et à force il s'est fait une raison, à laisser les autres rappeler à son cousin que Hollis était mort, pour mieux l'accueillir quand il venait pleurer chez lui, pour mieux le réconforter. Et Vine lui rappelait Hollis, toujours fourrés ensemble, inséparables, aux caractères un peu opposés, mais avec le même coeur, dans le fond. Alors Storm a commencé à le prendre sous son aile, à envoyer chier le reste de la famille quand ils le regardaient de travers, sans jamais lui expliquer pourquoi, il a conclu des pactes avec plusieurs membres pour étouffer davantage l'histoire encore, pour que jamais ça ne ressorte, que c'était de sa faute à Vine. Alors quand on commence à le regarder mal à la scierie, Storm est toujours là pour le récupérer à la menuiserie et veiller sur lui. Ici, un seul regard de travers sur son neveu et ils paient.
(i don't care what you think as long as it's about me) Il a eu vingt-et-un ans, et Lizzie a décidé de mettre les voiles, direction New-York pour pouvoir faire ses études, pouvoir vivre une autre vie. Et pendant un instant il a envisagé, pourquoi pas, mais il s'est rappelé qu'il était un King et l'idée a disparu aussitôt. Mais elle non, elle était bien trop décidé à s'en aller, bien décidé à n'avoir aucun regret, et quelque part il aurait dû la soutenir, accepter ses coups de fils et répondre à ses lettres. Elles continuaient d'arriver assez régulièrement, souvent remplies de reproches, avant de s'espacer, pour finalement n'en recevoir qu'une seule lorsqu'elle lui a annoncé son mariage. Et depuis, Storm a tiré un trait, enfoncé dans un pathétisme sans nom, au fond d'un gouffre dont il ne pouvait pas vraiment sortir, complètement défoncé à l'héroïne, noyé dans sa fierté de King. Une autre a rajouté à la liste de ses déceptions.
(the darkness holding me tightly, until the sun rises up) Et puis il y a eu Rose, sa tante, qui s'est mise à veillée sur lui dès la perte de sa mère et de Hollis, à s'assurer qu'il ne plonge pas totalement, à se dresser contre son frère plus que jamais. Il pense que sans elle, il serait probablement mort déjà, mais n'ose pas vraiment l'avouer, n'ose pas donner autant de pouvoir à son père. Elle a pris une place importante dans sa vie, au point où il essaye de la rendre fière aussi en lui cachant toutes les conneries qu'il peut avoir dans sa vie, s'excusant dès qu'elle lui lance l'un de ses fameux regards après qu'il ai merdé un autre mariage encore. Au point de la considérer comme sa mère maintenant, il ne manque pas une occasion de passer la voir, il lui fait livrer des fleurs à chaque fête.


(slippery slope) Depuis la disparition de sa mère et de Hollis, il s'est acharné à devenir un King, le meilleur qu'il soit, il a commencé à travailler dans la menuiserie jusqu'à gravir les échelons en faisant preuve d'une ambition et d'une autorité sans faille, au point où on il s'est retrouvé placé en tête de la menuiserie. A la grande stupeur de plusieurs personnes chez les King, à commencer par Oak, son propre père, le seul à voir Storm pour ce qu'il est réellement. Et pourtant c'est toute la famille qui se voit redorer, autant son fils que lui, par ce rôle aussi important. Et Storm est doué à cacher les apparences, c'est un roi de la manipulation, le pro de l'arnaque, il a une armée à genoux pour lui alors qu'il est déjà trois pieds sous terre. Cette puissance et cette stabilité est l'acte de sa vie, son plus grand show, le rôle maîtrisé à la perfection, développant un complexe de Dieu qui n'a d'égal que la déchéance qui va avec derrière. Ce refus de l'échec face à tout est la meilleure façade pour tout ce qu'il vit dans l'ombre, avec cette pression sur ses épaules, avec le regard haineux et dégoûté de son père quand ils sont seuls. Mais Storm en n'a rien à faire, c'est un King, et il touchera les étoiles.
(carnivorous carnival) Dans l’ombre, Oak le fait alterner entre rehab, travail, et sortie de rehab. C’est toujours pour mieux y replonger, alors que son père lui reproche tout, à commencer par la non surveillance du gamin qui a tué sa mère et son petit frère, par le fait qu’il protège le gamin en question. Il lui reproche la drogue. Ses mariages ratés et les gamins qu’il a jamais eu qui flottent comme une ombre menaçante sur son éclat dans l’élite des King, les murmures qu’on commence à avoir à ce sujet dans la famille malgré l’admiration qu’on lui porte. Et puis il crève de jalousie pour ce poste qu’il aurait pu avoir et ne comprend pas comment c’est son fils qui en a hérité. Et si Rose, sa petite soeur, n’était pas là pour lui mettre des bâtons dans les roues, il y a longtemps qu’il se serait débarrassé de Storm. Ce n’est pas de la paranoïa, Storm le sait, il est déjà tombé sur ce faux testament rédigé par son père, en son nom à lui, qui dit qu’il lègue la menuiserie et son poste à son père s’il lui arrive quoi que ce soit. Il se rappelle ne jamais avoir écrit ça et ne jamais avoir été en capacité de le faire en étant totalement sous l’emprise de la drogue. Il sait, de toute manière, à l’écriture, que ça vient du paternel. Le paternel qui n’hésiterait pas à se débarrasser de lui si Rose ne s’occupait pas un petit peu trop de son fils.
(this is how you remind me) Lizzie est de retour, ça fait quatre ans maintenant, il n’a pas vraiment cherché à le savoir, il l’a juste entendu en ville, Hawkins est assez petit pour qu’il le sache, encore plus lorsqu’elle a ouvert son propre cabinet il y a deux ans. Une psychologue. Elle touche les cieux pendant que lui rampe sous terre, l’ironie en est désespérante. Et pendant ces quatre années, les appels ont repris, les lettres aussi, et pourtant il les ignore du mieux qu’il peut. Les lettres n’ont plus été ouvertes, il s’est remarié entre temps, encore un truc à foutre au feu, le deuxième mariage avec l’idée la plus stupide au monde, le grand jour annoncé et fêté en grande pompe dans Hawkins, le divorce passé sous silence, la femme même plus dans la même ville. La rancoeur et la fierté des King toujours présentes, il ne voit pas pourquoi est-ce qu’il devrait faire l’effort à nouveau d’exister dans sa vie alors qu’elle l’a si facilement rayé.
(i found bliss in ignorance) Il commence à lui arriver des choses bizarres, il ne sait pas vraiment comment l’expliquer, il voit des choses, il pense que c’est les hallucinations de la drogue, ou du manque, il sait pas trop. Mais il voit des choses, sent des choses, comme des intuitions qu’il doit écouter avec attention. Comme des chuchotements à son oreille, des frissons qui parcourent sa peau, des visions terrifiantes qui viennent le hanter quand il est seul. Et pourtant ça semble si réel, c’est comme si Hawkins était habité, hanté, le même, mais différent.