Je prends une pause cigarette. S’il y a un souci, utilise la radio. Le shérif adjoint accueille le retour de son collègue avec un sourire. Il l’avait envoyé en pause contre son gré. Les jeunes recrues sont toujours de bonne volonté et veulent impressionner leurs aînés en restant à leur poste sans faire de break. Il le sait, il était pareil à leur âge, mais il faut tenir sur la durée. Et la soirée ne faisait que commencer. Les deux policiers étaient arrivés tôt dans l’après-midi pour faire le tour du lycée et inspecter toutes les issues afin d’assurer une sécurité optimale durant le bal de promo. Ils étaient sur place depuis plusieurs heures et ils carburaient chacun à leur thermos pour rester alertes. Thé noir longuement infusé pour River. Mais là tout de suite, il est en manque de nicotine et d’air frais. Une fois dehors, adossé contre un mur, il savoure sa première bouffée en fermant les yeux. Machinalement, sa cigarette terminée, il engouffre deux bonbons à la fraise. Il contourne le bâtiment, entre par une porte dont il possède un double des clés – on lui a prêté un trousseau pour la soirée – et arpente le couloir, entreprenant une courte ronde pour vérifier que tout va bien. À plusieurs mètres, il aperçoit une silhouette qu’il reconnaît instantanément. Billy. Il savait qu’il faisait parti des chaperons, la liste lui ayant été fournie plusieurs jours plus tôt mais il n’avait pas encore pu le voir. Le jeune homme se tient près de son ancien casier. River se rappelle précisément son emplacement pour l’avoir si longtemps observé, hésitant à glisser un mot à travers l’interstice, pour finalement renoncer et déchirer rageusement le papier en menus morceaux. Les lampes ne sont qu’en partie allumées et il admire Billy dans la demi-pénombre.

River peste et s’émerveille en même temps. Comment un vêtement des plus banals – un t-shirt en coton – et une couleur des plus neutres – un gris clair, avec un subtil dégradé – peuvent lui aller aussi bien et le rendre aussi attirant et aussi désirable ? C’est profondément scandaleux. Sa chemise en jean clair, nouée autour de ses hanches met l’accent sur sa taille. Son pantalon noir flirtant avec la ligne de ses jambes, roulotté au-dessus de ses godillots noirs eux aussi pour dévoiler la courbure de ses chevilles, le tissu déchiré au niveau de son genou gauche attirant irrémédiablement son attention sur sa peau exposée. Une partie trop petite à son goût. Ses yeux remontent le long de sa silhouette et s’attarde de nouveau sur son t-shirt, suivant la ligne de son col qui laisse entrevoir le début de ses clavicules. Il déteste ce t-shirt. Il adore ce t-shirt. Il ne sait pas s'il préfère voir Billy avec ou sans. Sans définitivement mais d'abord avec et avoir le plaisir de lui enlever. Ho clairement, le jeune homme a respecté le thème de la soirée. Entre ange et démon on pourrait croire qu'il était un démon, la tentation incarnée, l'incitation à la dépravation. C'est faux, on ne peut plus faux. Billy est un ange au cœur bon et généreux. Calme toi, mon fougueux palpitant. Son myocarde menace de déborder, il saisit les barreaux de sa cage thoracique et hurle furieusement pour sortir de sa prison. River est le seul à entendre son rythme frénétique et il voudrait le libérer, le saisir entre ses mains et l’offrir à son véritable propriétaire. Quel besoin a-t-il de le conserver dans sa poitrine alors qu’il ne lui appartient plus depuis longtemps ? Ses pieds avancent sans son autorisation, en autopilote. De même qu’il est incapable de détourner le regard quand ils se trouvent dans la même pièce, il lui est impossible de rester loin de lui. Le brun remarque enfin sa présence, regarde dans sa direction, sans un mot, intensément, pendant quelques secondes avant se pincer les lèvres puis de prendre la parole. Se sentir observé à son tour rend River nerveux et il passe une main dans ses cheveux, réajuste le col de son uniforme avant de lui répondre dans un souffle. Salut. Et pendant un instant, il ne trouve rien d’autre à ajouter et ce n’est pas si désagréable. Juste le regarder béatement. Il se perd dans la contemplation de son visage, de son sourire en coin, du pli qu’il forme à la commissure de ses lèvres. Son regard s’attarde sur cette zone, imaginant pour la énième fois le contact de sa peau sous ses doigts. La taquinerie de Billy le pousse à entrer dans son jeu, à prendre part à leurs joutes verbales. Son sport préféré. Désolée natation mais tu arrives bien après. Tous ses hobbies passent au second plan face à Billy. Aux chefs d’œuvre du septième art, il préfère contempler le jeune homme évoluer avec grâce, comme si l’univers n'était qu’un décor conçu pour le mettre en valeur. À la musique, il préfère sa voix, son rire, sa respiration et il est sûr qu’il aimera tout autant les autres sons qu’il est capable de produire. Cessant à regret l’examen de ses lèvres, il plonge son regard dans le sien.   Ça c'est parce que je t'ai collé une balise pour te suivre à la trace. Tu m’as démasqué. Il ne perd pas vraiment au change, les yeux chocolat de Billy sont tout aussi ravissants que sa bouche. River sourit plus largement encore et s’adosse contre les casiers, passe une main dans ses cheveux – encore une fois – croise les bras, feignant la désinvolture alors qu’il tente de masquer le tremblement de ses mains. Les gosses et les adultes. Certains en particulier. Toi tout spécialement. Les mots restent dans sa gorge. Il préfère s’enquérir de son état. Comment vas-tu ?  Parce que c’est finalement la seule chose qui l’importe.

(gif par lengthofrope)

@Billy McCarty




Billy rit à sa blague et les jambes de River deviennent comme de la gelée. Un rire qui peut guérir les blessures assurément. Il serait prêt à faire n’importe quoi pour l’entendre à nouveau, pour que Billy soit toujours aussi joyeux qu’en cet instant. Il faut ce qu’il faut. Que veux-tu que je te dise ? Je ne pouvais plus me fier uniquement au hasard. Leurs rencontres impromptues ne lui suffisent plus. Il voudrait le voir tous les jours, qu’il soit la dernière personne qu’il voit avant de fermer les yeux et la première à apparaître à son réveil. Avant qu’un tel bonheur se produise – s’il se produit un jour – il peut au moins émettre la suggestion qu’ils commencent à se voir plus souvent, plus régulièrement. Prendre un verre quelque part pour commencer. Que de souvenirs… On en a eu des discussions devant ce casier. Il y a eu des altercations, malheureusement, des propos houleux, des gestes violents, qu’il n’a pas réussi à empêcher. Mais il a eu aussi des échanges agréables. Ce petit jeu secret dont eux seuls connaissaient les règles. Les meilleurs moments du lycée et de très loin. Parce que dans ces années noires où il ne faisait que jouer un rôle, une triste comédie, il pouvait mentir, jouer au King, Billy connaissait la vérité. Ils savaient tous les deux que rien de tout cela n’était vrai. Dans ces moments-là, River ne se sentait pas seul, il avait un complice. Un allié qui le titillait, qui le provoquait et qui lui donnait furieusement envie de le plaquer contre les portes de métal, non pas pour lui faire du mal mais pour sceller ses lèvres contre les siennes. Beaucoup trop de chenapans. J’ai dû faire une liste. Ils plaisantes, visiblement l’amusement est partagé mais River veut aussi savoir si derrière cette apparente désinvolture son ancien camarade de classe se porte bien. La ville entière tente de continuer à vivre malgré l’ambiance sinistre. Le sourire du brun se fait plus doux, plus intime. Il va bien. C’est tout ce qui compte. Le monde va de travers, la tension est palpable, les nuits sont sans repos, mais s’il va bien alors c’est déjà ça. Il voudra toujours le protéger, comme au lycée, comme ce fameux soir dans sa chambre, prêt à prendre des coups pour lui. Billy évoque la disparition de Bonnie. Naturellement il est affecté, d’autant plus qu’ils étaient amis au lycée.   Je me rappelle. Et il se rappelle aussi de la photo sur le mur d’enquête du poste de police et celui de son salon ainsi que les nombreuses – bien trop nombreuses – autres photos qui continuent de s’accumuler. Il n’y a plus la lueur espiègle dans les yeux du jeune homme, ni la douceur, juste de la peine et de l’inquiétude. Malgré ses propres tourments, il s’intéresse à lui, laissant sous-entendre qu’il peut concevoir l’état d’esprit qui règne dans le bureau du shérif depuis plusieurs mois. C’est… Il déglutit péniblement, réajuste ses lunettes sur son nez. Ouais, c’est le moins que l’on puisse dire. Il hésite à en dire plus, à se livrer davantage. Ce n’est pas ce qu’on lui a appris et les vieilles habitudes ont la dent dure. Pourtant s’il y a bien une personne à qui il aurait envie de se livrer c’est Billy. Il fait le fort, il ne laisse rien transparaître au travail et en famille et c’est usant. Ça le mine complètement. Notamment cette pauvre grand-mère qui vient régulièrement demander des nouvelles de sa petite fille. La réponse qu’on lui donne est malheureusement toujours la même. River fait un signe à ses coéquipiers de se retirer, prenant sur lui pour être le porteur de mauvaises nouvelles. Dans un accès de rage, hier, elle lui a balancé son verre d’eau au visage et la pensée qui lui a immédiatement traversé l’esprit c’est qu’elle aurait dû jeter le contenu et le contenant. Il le méritait pour ne pas être capable de lui donner une autre réponse, pour ne pas avoir la moindre piste, le moindre indice. Il ne peut lui apporter aucun espoir, aucun réconfort. Billy se rapproche. Quand il fait diminuer la distance physique entre eux, River sent ses barrières tomber. Plus près, viens plus près. supplie-t-il intérieurement tout en faisant un pas dans sa direction. Tel un aimant irrémédiablement attiré, ils ne pourront jamais être suffisamment proches à son goût. Même s’ils en venaient à se retrouver dans les bras l’un de l’autre – enfin ! – il voudrait encore réduire le moindre écart qui les séparerait, connectant chaque centimètre de son corps au sien. Je… Il se pince le nez brièvement, un geste qu’il fait pour empêcher les larmes de monter.Ne craque pas ! Ravale tout ça. Ses yeux sont humides, il lutte farouchement pour contenir sa frustration, sa colère, sa tristesse. Je ne suis pas censé en parler mais… je voudrais faire plus, tellement plus… Tais-toi ! Arrête ! S’il commence, il ne pourra plus s’arrêter, il ne pourra plus retenir le flots d’émotions, il va se laisser submerger et c’est trop dangereux. Son regard se fixe sur une rayure de l’ancien casier de Billy. Il inspire longuement avant de mettre son index sur sa bouche et de regarder Billy avec un sourire qui se veut joueur. Je suis tenu par le secret professionnel. Ils se retrouvent tous les deux dans ce lieu chargé de souvenirs et River veut croire que c’est une nouvelle chance, l’occasion de ne pas répéter les erreurs du passé et oser être honnête. Alors il ne va gâcher la soirée. Il faut que je t’avoue quelque chose. Deux choses en fait. J’ai voté pour toi. Pour le roi des chaperons. Et aussi quand on était au lycée, je passais tous les jours devant ton casier et je voulais te glisser des mots mais je n’ai jamais osé. C’est idiot, hein ? Il s’est rapproché encore davantage, la voix plus douce, plus basse, sur le ton de la confidence.