Ca fait bien plusieurs minutes que Two observe ce type étrange tourner autour du champ de citrouille. Il a l'habitude de passer par là quand il rentre, après avoir passé la journée à dérober à manger ou à observer les habitants. Il n'est pas inhabituel de croiser des fermiers ou autres agriculteurs traîner par là, surtout le propriétaire, dont il se méfie comme de la peste. Mais jamais il n'a aperçu ce mec là. D'où sa curiosité et sa suspicion. Son visage lui est bien trop familier et il finit par le reconnaître après un long moment d'observation : c'est l'un des gardes du laboratoire. Aussitôt, la peur envahit Two qui prend ses jambes à son cou, et file dans la direction opposée. Il n'est pas discret dans sa fuite, un de ses dérapages provoquant une nuée de gravillons. Une voix l'alerte, lui intimant de s'arrêter, ce que Two fait, bien trop apeuré. Tout un tas de scénarios lui traversent l'esprit ; maintenant qu'on l'a retrouvé, qui sait ce qu'on lui réserve comme punition. Il espère seulement que Four est en sécurité quelque part, et qu'on ne lui est pas tombé dessus. Quelle idée stupide a-t-il eu de rester dans le coin, si près du laboratoire ? Il était évident qu'on finirait par le retrouver. Mais ce type là est tout seul. Two plisse les yeux, méfiant. C'est bien trop simple comme scénario. Où se trouvent les autres gardes ? Et les militaires ? Ceux chargés de les ramener au bercail par la force ? Le dos toujours tourné à l'autre, il observe la scène attentivement, prêt à voir débarquer tout une armée lui foncer dessus. Mais après plusieurs secondes, il est évident qu'il n'y a rien aux alentours. Aucun bruit si ce n'est sa respiration haletante et l'autre type qui essaie de le rattraper. C'est Four qui m'envoie, il t'a déjà parlé de moi, je suis Milo. Two se fige, n'osant plus bouger. Oui, Four lui a bien parlé de lui. Ce garde bienveillant qui, au lieu de le ramener au laboratoire, s'est contenté de lui offrir un toit et de la nourriture sans même sourciller. Mais Two n'est pas dupe, et il sait qu'il y a anguille sous roche. Cela semble être trop beau pour être vrai.

Two hésite, mais se contente de rester là, le dos toujours tourné et les yeux alertes. Il devrait partir et ne pas demander son reste. Pourtant, quelque chose lui intime de rester et d'écouter ce que Milo a à dire. Par respect pour Four, qui semblait des plus honnêtes et confiants lors de leur dernière rencontre. Il pourra toujours recourir à la force si cela s'avère nécessaire. Milo doit seulement s'estimer chanceux qu'il n'y ait aucun arbre dans le coin. Il s'inquiète de te savoir dehors comme ça. Le coeur de Two se serre, la culpabilité le rongeant. Il peut encore apercevoir le regard de son ami lorsqu'il a décliné son offre de venir les rejoindre, Milo et lui, à leur appartement. Et Two refuse toujours autant de quitter son abri de fortune ici. Car il ne connaît pas Milo. Et les adultes ne lui ont jamais inspiré confiance. Il ne répond pas pour autant, bien qu'il écoute toujours d'une oreille attentive ce que Milo lui raconte. La perspective d'avoir de la nourriture et des vêtements de rechange n'est pas négligeable, mais cela pourrait tout aussi bien être une ruse. Two se retrouve donc  face à un nouveau dilemme : tenter le diable et lui faire confiance, ou profiter de la diversion pour s'évanouir dans la nature à tout jamais. Puis, quand il entend le type s'éloigner, il se mord les lèvres. Nouvelle stratégie pour mieux l'attraper. Ca ne colle pas au mode opératoire des gardes, qui préfèrent généralement foncer dans le tas. L'hésitation est grande, mais il finit par céder, se tournant lentement vers le sac en question, tel un animal guettant sa proie. Le regard rivé sur Milo, s'assurant qu'il ne s'approche pas, Two s'empare du sac, fouillant son contenu. Il y a bel et bien un sandwich à l'intérieur, dans lequel Two ne tarde pas à mordre. Sa faim est bien trop grande, se superposant à son instinct de survie. Un point en faveur de Milo. Four va bien ? qu'il demande, observant toujours le contenu du sac, quelques miettes de pain sur le coin des lèvres. Il n'ose pas regarder Milo en face, bien qu'il l'observe toujours du coin de l'oeil. S'il lui est reconnaissant pour les provisions, Two préfère rester vigilant. Mais si Milo peut lui fournir des informations sur Four, qu'il n'a pas vu depuis plusieurs jours, alors il prendra le risque. Pourquoi est-ce que tu nous aides ? Parce que oui, c'est bien là la question que se pose Two. Car il y gagne quoi Milo, à faire ça ? Jouer un double jeu avec le laboratoire pour lequel il travaille, s'y rendant tous les jours en leur mentant en plein visage ? C'est plus que bancal comme situation, de l'avis de l'adolescent. Machinalement, Two resserre le sac à dos contre lui, comme pour se protéger du monde extérieur, et de Milo.  Qui me dit que tu dis la vérité ? Tu as très bien pu ramener Four au laboratoire, et maintenant tu comptes faire la même chose avec moi. C'est un scénario qui le terrorise plus que tout au monde, devoir retourner là-bas, dans cette prison, à être observé comme un animal de foiré, enfermé entre quatre murs blancs et stériles.