Il se souvient d'elle. Visage qui l'a marqué pour être la première fille avec une aussi longue chevelure qu'il aperçoit depuis sa plus tendre enfance. S'il y a bien les nombreuses scientifiques du laboratoire, les seules filles de son âge ont le crâne rasé au même titre que les garçons. Cela peut rendre les choses assez confuses, notamment à l'âge de l'adolescence. Two ne comprend pas forcément pourquoi, mais il la trouve belle, avec ses longs cheveux blonds et ses yeux innocents. À ses yeux, elle représente le renouveau, la vie. Quelque chose de coloré et plein d'espoir. Et si ses frères et sœurs du laboratoire lui manque, leur visage fermé et ces mêmes blouses blanches lui donnent des frissons. Non, elle est la seule qui représente un semblant de normalité et de fraîcheur. Heather. Il se souvient avoir écouté ce scientifique parler de sa fille des heures durant, fasciné par l'affection qui se dégageait de ses paroles. Il se souvient avoir regardé dans ses souvenirs, et l'avoir vu pour la première fois. Elle dégage cette même gentillesse que son père. Two le sait. Il était bien le seul, le rare scientifique à ne pas les traiter comme des cobayes ou des monstres de foire. Il les traitait comme des êtres humains à part entière. Et Two lui en est reconnaissant. Il ne l'a plus revu depuis plusieurs mois. Que ce soit au laboratoire, ou en ville. Et ce n'est pas faute d'avoir cherché. Mais c'est Heather qu'il a aperçu. Et c'est Heather même qu'il observe depuis plusieurs jours, sans jamais oser aller lui parler. D'un tempérament bien plus introverti, les seuls avec qui il a jamais interagi sont les autres numéros, et les scientifiques et autres employés du laboratoire. Ce n'est pas la plus saine des vies sociales, il en conçoit. Et de son âge, il n'y a que de Four dont il est proche. Approcher quelqu'un d'extérieur, inconscient de ce qui se trame vraiment dans leur propre ville, Two ignore comment on fait. Tel un bambin qui vient de naître, il n'a aucune idée de ce qu'il doit faire. Mais il semble qu'il n'aura pas d'autres choix. Heather et lui sont face à face, après qu'il a eu l'excellente idée de la bousculer sur son chemin retour. Les yeux ébahis, il l'observe encore, pas vraiment conscient de la rendre mal à l'aise. Ses capacités sociales sont limitées, et il semble que dévisager une personne pendant plus de deux minutes est une chose tout à fait convenable aux yeux de Two. Je... hum... Heather ? La voix qui flanche et le ton incertain, il la regarde timidement. Il sait que c'est elle, mais il sait aussi que c'est poli de demander.

Two déglutit avec difficulté, les yeux toujours écarquillés. Il n'aurait jamais pensé en arriver à ce stade, et maintenant qu'il est là, les mots lui manquent. Observer Heather est une chose, engager la conversation en est une autre. Cela a été bien plus simple avec Opal - celle-ci s'est simplement contenté de lui prêter son déjeuner, s'en est suivie une amitié. Et c'est bien Opal qui a fait le plus gros des efforts, alors que Two se contente de bégayer à chaque fois qu'on lui adresse la parole. Mais Heather est différente. Il la connaît par proxy, par souvenirs interconnectés. Et cela fait des mois qu'il souhaite la rencontrer. Et bien qu'il prévoit cette rencontre depuis quelque temps désormais, il ne lui est jamais venu à l'esprit de planifier quoi lui dire exactement. Il improvise totalement, et c'est un véritable désastre. Il n'est en aucun cas dans son élément, étant plus habitué aux expériences psychiques et psioniques qu'aux conventions sociales. Ce n'est pas comme si on leur avait appris à se sociabiliser, au laboratoire. Ses conversations se résumaient à ce qu'on lui demandait de faire, et de quoi les autres numéros voulaient discuter. En gros, rien de bien stimulant.

Heather le dévisage et Two n'a qu'un seul désir : fuir. Il ignore bien ce qui l'impressionne autant chez cette fille, mais être en sa présence le fait hésiter et piétiner sur place. Les mains moites et le cœur palpitant de plus belle, elle semble avoir un effet plutôt hypnotique sur lui. Il se rassure en se disant qu'après tous ces souvenirs, la voir en personne est quelque peu... déstabilisant. Oui... hum... il ignore comment amener la chose sans paraître étrange. Bien qu'il doive déjà l'être, à la regarder depuis bientôt cinq minutes sans même cligner des yeux. Je connais ton père ? Two énonce les faits telle une question, comme si lui-même n'est pas certain de la chose. Et en vrai, il ne le connaît pas vraiment, cet homme, si on ignore les trois heures par semaine dans une salle blanche et stérile. Est-ce qu'il va bien ? Two se tapote mentalement sur les épaules, se félicitant d'avoir prononcé autant de mots sans bégayer. C'est une bonne manière d'amorcer la chose, non ? Two s'en persuade, en tout cas, très heureux de pouvoir discuter de la chose avec Heather. Et puis, parce qu'il ne peut pas se retenir plus longtemps, et que les mots lui titillent la langue depuis plusieurs minutes. Tu as des très beaux cheveux. Ils le fascinent, et Two est quelque peu admiratif de les voir briller autant. Il se demande si les siens seront aussi étincelants après avoir repoussé. Si Two était un adolescent normal, il aurait conscience de l'étrangeté de la situation. Mais de par son passé de cobaye, il ignore que ce qu'il vient de dire peut sembler aussi bizarre qu'effrayant. Il se contente d'un simple sourire, un peu crispé, comme pour indiquer qu'il n'y a absolument rien d'étrange dans tout cet échange.

Vraisemblablement, Two a mis les deux pieds dans le plat. La gêne le gagne d'autant plus, comme cette anxiété grandissante. La demoiselle change d'attitude du tout au tout, le regard se noircissant et les traits se durcissant. Two sent son coeur accélérer, et ses pieds sont tellement ancrés au sol de peur qu'il lui serait bien incapable de fuir même s'il le désirait. Les relations sociales sont éreintantes, et Two n'a jamais eu à faire d'effort en dehors du laboratoire. Ses seuls contacts humains sont bien trop éphémères pour qu'il doive apprendre les convenances qui accompagnent de telles interactions. Face à la colère de la jeune fille, il se demande un instant s'il ne serait pas plus judicieux de lui faire tout oublier et de recommencer un autre jour. Mais les nerfs le lâchent et il sait qu'il sera bien incapable de recommencer une seconde fois. Alors il subit silencieusement, se demandant tout bonnement comment rattraper la situation. Quoi... personne ? Sa réponse ressemble bien plus à une question, mais c'est la confusion totale dans la tête de Two. Pourquoi quelqu'un lui demanderait de poser ce genre de choses ? Heather est bien intrigante, et Two ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe. Mais face au ton hostile de son interlocutrice, il se doute bien que quelque chose cloche. Ce qu'elle vient confirmer quelques secondes plus tard, en affirmant que son père est mort. C'est le choc pour Two qui écarquille les yeux et recule d'un pas. Alors oui, Two a beau ne pas saisir toutes les subtilités du monde et de la société, mais il ne comprend que trop bien le concept du deuil et de la douleur. Il se souvient encore lorsque Three n'est jamais revenu de l'une de ses sessions tests. Disparu. Mort. Pour ne jamais revenir. Mort ? Qu'il répète, tel un enfant. Nouvelle douche froide pour Two lorsqu'il en vient en comprendre les circonstances d'un tel décès. L'incident du labo. Two ne sait que trop bien de quoi il s'agit, pour avoir assisté à toute la scène, et avoir même prié pour que cela se produise - un tel incident leur permettant à Four et lui de s'enfuir. S'il avait su que... non, inutile d'y penser. Two doute qu'il aurait pu y songer quoique ce soit. Je suis... désolé. Et il l'est sincèrement. Sans même s'en rendre compte, ses mains viennent trouver ses lèvres, et Two commence à se ronger les ongles, quelque peu déboussolé par toutes ces informations. La tristesse le gagne lui aussi, et il peut sentir quelques larmes perler du coin de ses yeux. Je... il est incapable de prononcer le moindre mot, se contentant de fixer le sol, les pensées sens dessus dessous. Il attend quelques secondes avant de reprendre, d'une voix tremblante. Je voulais seulement le rem... le remercier. Il... il m'a aidé, par le passé. Le père de Heather était un homme bon, et le seul à le traiter en être humain. Il ne méritait en rien un tel sort funeste.