hangdog look / you shook me all night long
(song / outfit)

La douche, c'est son refuge après une journée bien trop longue. La douche, c'est synonyme de détente et de renaissance. Billy enlève toutes les saletés -autant psychiques que physiques- qu'il a accumulées durant son travail au laboratoire. Depuis qu'il y trime, il se demande parfois si ce lieu est aussi sain que ce qu'on lui avait clamé en l'embauchant. Petite anecdote pour justifier ses pensées alambiquées : il y a deux semaines, rien que ça, des coups de feu ont retenti, les employés se sont cachés, des cris ont fusé de toute part -qu'ils soient humains ou... autre- et enfin, cerise sur le gâteau, deux gamins surgis de nul part, le crâne rasé, seulement habillé d'une tunique d'hôpital, se sont enfuis comme si le diable les pourchassait. Il faut bien avouer que tout ceci légitime totalement son manque de confiance envers ses boss. Qui plus est, les images accumulées fatiguent énormément le trentenaire et le mettent à cran.
Alors, une bonne douche, c'est le top. En plus, ça sent bon. Qui sait, peut-être même qu'il se sentira opérationnel pour cuisiner -c'est-à-dire, entre nous, sortir des nouilles et les faire cuire.
Malheureusement, l'instant de bonheur fut de courte durée, car on toque à sa porte, plusieurs fois. Oui, oui, j'arrive ! Et merde. Billy coupe l'arrivée d'eau chaude alors qu'il est à peine rincé, et fout des petites flaques un peu partout dans le mobil-home alors qu'il cherche désespérément son pyjama. Les coups à la porte retentissent à nouveau et une voix l'invective, ce qui l'agite encore plus et lui rappelle que son pyjama est au sale. DEUX. MINUTES. Putain. D'un geste rapide, presque félin, il s'empare de son vieux peignoir Batman et s'élance vers la porte d'entrée qu'il ouvre avec fracas. Ouai, quoi ?, lance-t-il sur le ton le plus énervé qu'il possède. Billy regrette aussitôt qu'il entrevoit son voisin, Zander. Il est spécial, un peu perché, souvent défoncé, mais très gentil dans le fond. Il n'y a qu'à voir la tronche de chien battu qu'il lui tire à ce moment même. Parfois, il lui fait un peu pitié. Désolé Zander, j'prenais ma douche. Qu'est-ce qu'il se passe ?, soupire-t-il dans sa barbe inexistante. Avant même d'entendre les lamentations sortir de la bouche de son interlocuteur, le brun remarque la tablette de chocolat à moitié déglinguée dans la main de son voisin. Arf, j'sais pas s'il m'en reste mec. Billy pense avoir anticipé le coup et, toujours dans son magnifique peignoir, va pour rendre service à Zander en fouillant les placards de sa cuisine.

Les portes des placards volent et se referment à grands coups de main, sans aucune considération pour le son produit, surtout depuis que son oncle est parti du mobil-home. Billy essaye de le lui racheter, alors tout ce qui se trouve ici lui appartient presque, techniquement. Et comme la bouffe est le moindre de ses ennuis, il ne se fait pas prier pour maltraiter sa cuisine, voire les abandonner pendant des semaines entières. A ce qu'il sache, le chocolat ne se périme pas. Non ? Même s'il se rappellerait s'il lui restait du chocolat dans ses placards, car c'est un de ses mets sucrés favoris, avec le concentré de lait en tube. Et pourtant, miracle, ô miracle, voilà qu'il voit le coin d'une tablette cachée derrière un ancien mug que son oncle collectionnait. AH. Avant de l'attraper dans une cacophonie de céramique, Billy se retourne, un sourire victorieux et taquin sur les lèvres à l'intention de son voisin. J'crois que t'es chanceux ce soir, Zander. Il m'en reste tout un paquet. Il lui laisse goûter à la satisfaction de ne pas avoir à faire le tour des autres mobil-home. Il attrape à pleine main la tablette de chocolat et la lui tend sans frein, espérant finir sa douche ou se laisser tomber sur son lit pour lire un chapitre d'un livre qu'il croque tous les soirs. Et voilà pour toi, lucky bastard. Juste par curiosité, tu fais quoi comme gâteau ? Billy n'a jamais été un cuisinier hors pair, ni même son oncle, alors dès qu'un bon plat se dessine, chez lui ou chez d'autres, il n'hésite pas à s'inviter. C'est ma tablette quand même. Finalement, c'est peut-être mieux que de se renfermer seul chez soi et (re)vivre une soirée des plus mornes. Zander est certes perché, mais il n'en est pas moins drôle et de bonne compagnie. Bien au contraire, ça changerait de leur relation dealer/client qu'ils partagent depuis plusieurs mois maintenant.

C'est que Billy pensait posséder l'ingrédient manquant de la recette du brun, alors qu'elle n'est pas sa surprise lorsqu'il vit son sourire mourir sur ses lèvres. Ah... ne me dis pas que- La lumière étincelle ses synapses alors qu'il comprend l'objet de désir dont Zander fait référence. Cela lui a pris deux secondes de réflexion, c'est dire à quel point il connait le péché mignon de son voisin. Mais est-ce vraiment un péché mignon à ce stade ? C'est la voie que prend l'esprit de Billy alors qu'il se remémore doucement lui en avoir refilé il y a à peine deux jours de cela. Zander était un client ordinaire, très sympathique qui plus est, mais le fait est qu'il lui demande beaucoup de weed. Un peu trop par rapport à ses autres clients qu'il fournit de façon très irrégulière -déjà, pour ne pas se faire moucher, et puis pour éviter de créer une dépendance. C'est pourquoi il n'en vend qu'aux fêtard de temps à autre, aux personnes qui en utilisent pour se décontracter quelques fois. Mais jamais, il ne se cantonne à un client en particulier, du moins pas aussi fréquemment que Zander. Ce dernier affirme tous les doutes du jeune homme qui feigne un sourire forcé à l'évocation d'un space cake. L'hésitation s'installe très rapidement dans les méandres de son cerveau. Ok, ou pas ok ? D'habitude, il ne rechigne pas contre un peu de flouze. L'autre ingrédient ? Billy fait le con quelques secondes, histoire de retarder l'échéance, car il sait quelle sera sa réponse. Il ne peut pas refuser ce que Zander lui demande, pas même alors qu'il porte encore son peignoir Batman. Je vois, entre, j'vais voir ce que j'peux faire. Un soupire finit par s'écraser contre ses lèvres et il invite donc Zander à entrer d'un mouvement de la main. Une fois la porte refermée sur son voisin, il lui montre le canapé de fortune et se dirige vers sa chambre où il garde son bazar. Sous le matelas ? Ce serait trop évident. Une cannette de Coca Cola truquée cependant, ça l'est moins. Billy sort le paquet plastique, peu victorieux, encore douteux sur la rapidité des représailles avec Zander. Il ne fait même pas attention au café qui vole vers le sol de sa chambre. C'est un bordélique né, on ne lui a pas assez remonté les oreilles à propos du ménage. Dire si son mobile-home est propre serait un mensonge. Il l'aère quand il ne fait pas trop froid, parce qu'une fois Ronnie lui a dit que ça puait le fauve et qu'il n'allait jamais trouvé une nana avec une déchetterie pareille. Il y a du mieux depuis, mais le canapé qu'a pointé du doigt notre métaleux est un peu poussiéreux et doté de tâches ça et là. N'allez pas vous fourvoyer dans des explications perverses, c'est principalement des tâches de bières et autres boissons en tout genre. Pour Billy, cependant, son canapé lui suffit amplement, et de toute façon il n'aurait pas les moyens d'en acheter un neuf. Comme il dit, ça coûte une tune de pouvoir bouffer confortablement.
Bref, le voilà qui revient avec la weed en main, incertain de marchander avec Zander qui lui a tout l'air d'être accro à cette merde. Aussi, il garde le sachet dans sa main en revenant vers lui et en s'asseyant à ses côtés. Le brun pourrait essayer de lui retirer des doigts qu'il n'y arriverait pas. Billy a une trouille par rapport à la marie-jeanne qu'il vend : c'est de retrouver un jour un client complètement abîmé par ce qu'il lui fournit. Est-ce qu'il pourrait vivre avec cette culpabilité ? C'est notre jour de chance, Zandy. La décision est prise, plus par peur que par pure générosité, et le ton se veut donc presque mielleux à l'intention de son voisin. Le surnom n'a fait qu'un trait dans sa bouche, pour mieux attirer son attention ou pour l'attendrir, que sais-je. Billy peut parfois se montrer très persuasif quand il s'y met, ce doit être encore un trait hérité de son paternel. Ça te dit qu'on l'fasse ensemble ce space cake ? C'est un de mes spécialités chef, j'ai tout ce qu'il faut en cuisine. T'inquiète pas, y'en aura assez pour deux., lui lance-t-il en lui glissant un petit coup de coude complice. Il essaye de mettre toutes les chances de son côté, pour pouvoir avoir Zander à l’œil ce soir, pour essayer de savoir si tout va bien pour lui. Parce qu'il y a deux types de clients : ceux qui veulent se défoncer par pur plaisir, et ceux qui se défoncent pour oublier ou alléger un douleur - qu'elle soit psychique ou physique. En général, il n'est pas bon de faire parti de la deuxième classe. Tu m'as donné envie de m'détendre un peu ce soir. La vie est dure mec, j'te jure. Billy tend le sujet de la discussion, après s'être étendu contre le canapé comme un cachalot sur une banquise, faisant grincer ostensiblement les ressorts du vieux meuble. Un soupire fatigué transperce ses lèvres, mais ses oreilles sont affutées en direction de Zander.