TW : incitation au suicide, grossieretés, drogues, classisme
Un putain de spectacle de Monster Truck... Sérieusement... Si y'avait plus beauf et kassos que ça... Ma tante était bien mignonne. La bougresse m'avait entendu me plaindre du manque d'événements dans ce bled paumé du trou du cul des Etats-Unis, alors voilà qu'elle et son mari avaient tenu à m'emmener à leur attraction de pauvres cons et de rednecks... "Petite fête de village" à en juger par la densité de la foule. Les coupes mulets fusaient à chaque coin de bottes de foin. Ces putains de ploucs coincés dans les années 70 étaient partout. Dans leeees viilles dans leees caaampagnes ! Fucking hell ! Mais allez vous acheter une dignité ! Quitte à suivre une mode, allez sauter du haut du Golden Gates ! ça vous f'rait voir du pays.

Le spectacle n'avait pas encore commencé... Je marchai machinalement entre les zombies pétés à la bière et leurs collègues niqués à l'héroïne, scrutant sans réelle conviction les carcasses de voitures en exposition. J'avais juste l'impression de r'garder un gars me montrer la taille de sa bite. Franchement pas impressionnant, tout au plus ridicule. God damn, un fucking lieu digne des meilleures expériences sociales. J'inspectai sommairement la foule, maudissant le manque effarant de jeunes de mon âge -la majeure partie d'entre eux n'étaient probablement plus scolarisé... Pas le genre de kassos avec qui je pouvais me permettre de traîner. J'avais une putain de réputation à tenir.-

C'est après une petite minute de marche à éviter la sueur des culs-terreux en débardeur que mes yeux croisèrent le regard d'un semblant d'intérêt parmi la plèbe... Étonnamment, la majorité des Monster Truck enjoyers -les monster truckers ?- étaient des hommes ! Les quelques femmes présentent étaient soit addictes à la meth, soit perdues... Non okay... J'avais bien vu les quelques familles "normales" s'enjayer avec leur hot-dog... Mais qu'est-ce que j'en avais à foutre... Je n'voyais que c'que j'avais envie de voir, et je n'voyais que des ploucs okay ?

« C'est mims ici ! J'suis en ville depuis pas longtemps, vous faîtes souvent ce genre de p'tit évén'ment sympa à Hawkins ? » Je m'étais permis d'importuner innocemment la jeune femme qui, ne nous mentons pas, faisait tâche au milieu des bouseux... Certes, la trace d'huile noire sur sa main gauche rehaussait quelque peu son niveau de beauferie, mais rien de franchement alarmant.

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Je glousse comme une hyène face au sarcasme de mon interlocutrice... "Réunion des gros beaufs". C'est que la dame avait un certain degré de conscience quant à la nature et et le ridicule de son événement favori du dimanche... Respirer le même air que ces sous-gens était douloureux. Ma peau s'imprégnait chaque seconde un peu plus de la graisse crasse qui imbibait les débardeurs dégueulasses du public. Je me sentais un peu plus souillé à chaque eye contact avec l'un des déchets en chef de l'humanité. Ce comité n'était pas une "réunion de gros beaufs". C'était un putain de vide-ordures de plein air.

« Moooh, mais je suis sûr qu'ils ont pleins de choses à nous apprendre ! » Je me tournai nonchalamment vers la foule, retenant un relent face à la puanteur sociale qu'exhalait ce désastre du genre humain. « Tenez, je n'savais pas qu'il était possible de s'enquiller autant de bière sans en crever ! » Mon regard croisa les yeux vitreux d'un quarantenaire à la bedaine profondément touchante. Je lui offris un sourire empli de compassion...

Je retrouvai finalement le contact visuel avec mon interlocutrice. Je n'avais pu m'empêcher de la toiser discrètement de haut en bas, comme analysant le personnage qu'il m'avait été donné de découvrir... Déchiffrer le jeu auquel elle jouait en se pointant dans le dépotoir social d'Hawkins -du moins, la basse poubelle du dépotoir social qu'était Hawkins-. La bougresse s'était permise d'attraper une clope et de me la fumer à la gueule... Je me reculai légèrement par réflexe, ne prenant pas la peine de chasser le nuage de fumée qu'elle venait de me cracher au visage... Voilà que l'inconnue osa même se faire du soucis pour mes années adolescentes. Une empathie bien superficielle, comme je savais aisément les offrir... "Pas le meilleur endroit pour se construire ses teen memories"...

« Vous êtes bien aimable de vous soucier de mon album photo souvenir. » Je dévisageai grossièrement une vieille bagnole retapée, dans le vide... C'te carrosserie de ses morts me regardait trop mal. Mon regard dériva une fois de plus nonchalamment sur la jeune femme. « Mais vous avez raison, j'ai laissé mes teen memories se pendre chez moi, en Californie. » Je ponctuai mes propos par un grand sourire enfantin jusqu'aux oreilles... Un rictus rapidement dissipé par la bousculade inopportune d'un homme à la coupe mulet... Le sombre connard n'avait pas semblé m'avoir vu, et s'était pris mon bras de plein fouet... Il s'était retourné un instant, vraisemblablement désolé pour la gêne occasionnée. « Vous inquiétez pas, no worries monsieur ! Passez une bonne soirée ! » Fis-je en lui offrant un sourire plein d'optimisme et de joie de vivre... Je le regardais rapidement partir avant de loucher par-dessus l'épaule de mon interlocutrice, dans le vide. « J'vais m'amputer le bras, j'ai envie d'crever. » L'idée d'avoir touché cet homme à peine humain me donnait la gerbe. « Vous êtes d'ici ? Vos teen memories ont du être traumatisants... »

A priori, l'adolescent partage ses opinions sur la question, bien qu'il préfère les déguiser derrière un sarcasme à toute épreuve. Qu'importe, Eleanor s'en amuse plus qu'autre chose. Ce genre de comportement, elle en raffole. Et en redemande. Ça la stimule dans ses idées et dans son moral. Alors même si c'est le genre de merdeux qui prend les autres de eux, elle se dit qu'il y a peut-être quelque chose de sympathique à en tirer. Pour quelques heures seulement. Après quoi, s'il lui sort une remarque désobligeante, elle sera bien obligée de le remettre à sa place : la tête coincée entre un capot de voiture. Et elle se fout royalement de son âge. Mais ne mettons pas les charrues avant les boeufs. J'en doute fortement, sauf si c'est pour nous apprendre comment gâcher notre vie avant l'âge de trente ans. Et encore, elle est gentille. Il n'y a pas d'âge pour foutre sa vie en l'air, après tout. Ha ! qu'elle s'exclame, tournant son attention sur l'alcoolique en question. Phil ? M'en parle pas, il doit avoir de la bière à la place du sang. Il a le cerveau tout ramolli. Et je suis certaine que c'est pas la seule chose. Elle ne rentre pas dans les détails, mais tout adolescent digne de ce nom ne peut que comprendre une telle allusion. Le nombre de fois où Mrs Hancock a dû le traîner de force hors de son bar à coup de chaises, c'est pathétique. Et elle le croise souvent, à ronfler sur un banc, pas loin du parc. Aucun honneur, aucune dignité. Un loser comme on en voit trop souvent, malheureusement.

Voilà que le gamin se met à la toiser et à la dévisager de haut en bas. Eleanor se retient de lever les yeux au ciel, se contentant d'expirer sa fumée de cigarettes encore plus intensément. Les années lycée avec leur lot de critiques et de hiérarchie. Classes sociales qu'on impose sur n'importe quel adolescent, jugé seulement sur son apparence. En soit, ça ne change pas du monde adulte, ces derniers sont seulement plus subtils dans leur manière de dénigrer les autres, et de les ranger dans une case, Eleanor incluse. Elle aussi n'a de cesse de critiquer autrui, après tout. Alors elle le comprend. Sans pour autant apprécier la chose. Je souhaite seulement éviter à la nouvelle génération de réitérer le même schéma chaotique que ces bouseux. En vrai, elle s'en fout comme de l'an quarante de ce qu'il peut faire de ses années adolescentes. Ca la regarde pas. Et elle va pas jouer les psys ou la meuf empathique pour un gosse qu'elle connaît à peine, et qui ose la jauger du regard. Mais qu'ils se complaisent dans des faux-semblants, ça lui va. C'est un jeu dans lequel ils sont tous les deux experts, il semblerait.

En Californie ? Je comprends la déception du coup. Quel côté ? San Diego ? LA ? Elle veut bien feindre un intérêt pour la chose, seulement parce qu'elle apprécie la côté ouest. Et que ses souvenirs de l'océan envahissent encore son esprit. Et, à vrai dire, il a bien la tête d'un gosse de riches. Le genre à penser que tout lui est dû, et à s'imaginer devenir mannequin, les cheveux dans le vent et le bronzage parfait. Ça lui donne envie de l'étrangler. Au lieu de quoi, elle écrase sa cigarette sous sa chaussure avec plus de violence que nécessaire. Quand un gros lourd vient les bousculer. Si son interlocuteur feint un rictus, Eleanor ne se gêne pas pour lancer un regard noir à l'importun. Et l'autre gamin qui lui balances des paroles mielleuses et pas du tout sincères. Eleanor en serait presque impressionnée. Presque. Crois-moi, amputer le bras n'arrangera rien à ton problème. Faut détruire le virus à la source. Mais je doute qu'on ait le temps ou la motivation pour exterminer la population entière d'Hawkins. Ca fait des années qu'elle lute pour échapper au problème, mais celui-ci semble increvable. Même à des kilomètres d'ici, elle pouvait encore ressentir son aura néfaste et nauséabonde. Eleanor hait cette foutue ville. A la question de l'adolescent - dont elle ignore toujours le nom, d'ailleurs - elle lâche échapper un soupir dramatique. C'est le moins qu'on puisse dire, effectivement... Eleanor ne rentre pas dans les détails, mais grandir à Hawkins ça n'a rien d'une sinécure. Et la vie dorée du californien en face d'elle doit être à des lieux de ce qu'elle a pu vivre. Non pas qu'elle l'envie - loin de là. Disons qu'on ne finit jamais vraiment par s'habituer à la déchéance. Il y a toujours pire que Hawkins, c'est comme ça qu'elle se rassure.

Viens, je te paie une bière. Ouais le gamin a même pas dix-sept ans. Ouais, ça craint. Mais Eleanor a pas envie de se prendre la tête là, surtout qu'elle voit aucun adulte responsable aux alentours, et que le rôle lui incombe donc. Ça lui fout la gerbe ça aussi. Donc non, adieu les scrupules. Surtout qu'elle n'a rien de stupide, un gars populaire comme lui doit enchaîner les fêtes. Et qui dit fêtes, dit alcool. Qui dit alcool dit cuite. Une bière ne va donc pas le tuer. Si on compte sur elle pour donner l'exemple, c'est mal barré.